25.07.23

La SRL, un outil pour les professionnels de l’innovation

Depuis 2021, Ellyx travaille à l’élaboration de la Societal Readiness Level (SRL), un outil pour évaluer la maturité des innovations sociales pour mieux analyser les besoins aux différents stades de leur développement.

Olivier Palluault

Directeur délégué d’Ellyx

Entretien avec Olivier Palluault, directeur délégué d’Ellyx

Qu’est-ce que l’échelle SRL et son utilité ?

Olivier Palluault – C’est une grille de lecture qui permet de positionner le développement d’une dynamique d’innovation sociale sur une échelle de 9 niveaux. Ces étapes couvrent l’ensemble du processus d’innovation, que l’on pourrait résumer en quatre grandes phases : la première est celle de la reproblématisation d’un enjeu de société (SRL 1 et 2) ; c’est l’étape des constats, de l’analyse du besoin sociétal et des pistes de concepts nouveaux.

Vient ensuite la prématuration, c’est-à-dire l’exploration d’un concept pensé en réponse à la problématique sociétale visée (SRL 3 et 4), et son incarnation en une combinaison d’innovations sous forme de services, de produits, de politiques publiques, etc.

Suit la maturation qui correspond à la phase d’expérimentation (SRL 5 à 7).

Enfin la normalisation, c’est-à-dire quand l’innovation sociale est acceptée par la Société et pleinement intégrée en son sein (SRL 8 et 9).

 

C’est un outil à la fois descriptif et prescriptif, important à deux titres : d’une part pour mieux accompagner le potentiel d’une idée ou aider le porteur de projet à savoir où il en est ; d’autre part pour repérer l’accompagnement, l’ingénierie et le financement, nécessaires pour passer à l’étape suivante.

 

Comment a-t-elle été conçue ?

OP – Trois inspirations ont guidé sa création. En premier lieu, la grille Technology Readiness Level (TRL) est la référence des professionnels de l’innovation pour évaluer la maturité d’une technologie jusqu’à sa mise sur le marché. Elle conditionne la nature de l’accompagnement et des investissements des innovations technologiques. Ensuite, il y a les travaux du Fond danois pour l’innovation opérés au cours des années 2010, qui estimait que la TRL n’était pas applicable aux projets d’intérêt général qu’il souhaitait financer. Il en a donc élaboré une déclinaison pour évaluer l’intérêt d’un projet technologique sur le plan sociétal. Enfin, nous sommes simplement partis de l’expérience d’Ellyx sur les centaines de projets d’innovation sociale accompagnés. Il manquait un outil qui puisse servir de référentiel fort, comme l’est la TRL, pour les stades de maturité d’une innovation sociale. Ce fut l’un des enjeux du programme de recherche, dédié à l’innovation sociale de rupture, coporté au sein du Laboratoire Commun DESTINS. Une première version de l’échelle SRL a été modélisée au sein de DESTINS avec plusieurs partenaires comme le CNRS en 2021. Depuis nous avons formalisé une deuxième version afin qu’elle soit testée par des professionnels de l’innovation sociale.   

Échelle SRL Ellyx 2022

 

Pourquoi est-il important d’évaluer la maturité d’une innovation sociale ?

OP – Le paradigme entrepreneurial qui associe innovation, technologie et marché s’est imposé depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Sans technologie, il n’y aurait pas d’innovation. Or, quand on travaille sur l’innovation sociale, la technologie et les débouchés lucratifs sont secondaires par rapport à l’impact sociétal. D’où la nécessité d’une grille d’analyse pour les projets qui s’inscrivent directement dans une finalité sociétale, qu’ils soient technologiques ou non. L’intérêt de l’échelle SRL n’est pas tant de préciser le niveau de maturité d’un projet, c’est surtout d’aider, grâce à la méthode associée, à reconfigurer complètement la dynamique d’innovation. Si l’on veut produire des innovations qui ont une capacité de transformation réelle, il est important d’observer certaines étapes.

Quelle serait la première étape pour aller vers une innovation sociale de rupture ?

OP – La plupart des projets d’innovation sociale ne sont basés sur aucun concept préalable et pleinement conscientisé. Cela ne signifie pas qu’ils sont sans intérêt mais limite néanmoins leur capacité transformative. Or, si l’on doit analyser des projets d’innovation sociale positionnés sur le même champ, il est nécessaire de disposer d’une bonne clé d’analyse. Si l’on prend l’exemple de la crise du logement, on peut vouloir agir sur les problématiques d’égalité d’accès à la propriété, d’insertion, de précarité etc. qui renverront à autant de concepts différents. L’échelle SRL doit donc aider à consolider et à densifier le concept qui est derrière le projet, souvent ignoré et masqué. Si certains diront que le concept ne vaut rien tant qu’il n’est pas mis en projet, nous pensons, à l’inverse, que le concept est plus puissant. Un projet d’innovation sociale n’a de valeur qu’à travers le projet de société qu’il incarne.

 

Qu’est-ce que cela peut faire bouger au sein de l’écosystème d’innovation ?

OP – C’est un champ qui intéresse le ministère de la Recherche, qui réfléchit notamment au brevet sociétal pour sécuriser des idées et des concepts d’innovation sociale. Il ne s’agit pas ici d’appliquer des logiques propriétaires mais plutôt de se demander comment éviter le dévoiement de concepts pertinents qui perdent leur capacité transformative lors de la mise en opérationnalité. Plutôt que de transcender les normes en cours au sein de la Société, les projets d’innovation sociale sont souvent enfermés dans des cadres contraignants (financements, représentations, cadres juridiques…) qui les empêchent de déployer leur potentiel. Cela impacte aussi la définition d’une expérimentation : en innovation sociale, on ne teste pas un prototype en laboratoire. La plupart des expérimentations n’en sont pas vraiment pour la simple raison que les cadres règlementaires ou juridiques ne permettent pas de tester pleinement le concept. Il n’y a pas de protocole d’évaluation réel qui permet d’éprouver scientifiquement ce qui est expérimenté. Dans la SRL, cette donnée est intégrée et prévoit le travail de levée des freins, en lien avec les acteurs publics et privés qui peuvent faire levier sur la mise en place d’une expérimentation. Enfin, il y a aussi l’ambition de contribuer à un écosystème d’innovation en appui aux innovations d’intérêt général plutôt que sur les innovations technologiques conduites par le marché, qui potentiellement sont prédatrices en termes écologique ou social. Cela implique donc de structurer l’accompagnement et le financement en conséquence.

 

Où en est le déploiement ?

OP – Nous avons testé la SRL avec plusieurs acteurs de terrain – des incubateurs, des agences d’innovation… et nous l’avons également présentée à un panel d’acteurs nationaux de l’Innovation Sociale et de l’Économie Sociale et Solidaire en fin d’année dernière. Nous prévoyons une diffusion plus large en 2023 mais, même si elle est pensée pour être libre de droit, l’échelle SRL doit encore être consolidée et sa prise en main accompagnée. Des discussions sont en cours pour sensibiliser des communautés scientifiques et des acteurs socio-économiques. Nous regardons également du côté de l’écosystème d’innovation européen.

 

Plus d'articles

Inspirations

Retrouvez l’ensemble de nos articles ainsi que ceux qui nous ont fait réfléchir où que nous aurions aimé écrire.
→ « Entrer » pour valider votre recherche

Ellyx

Collage représentant des personnes agençant des formes
Collage représentant des personnes observant une feuille