27.09.22

Innovation sociale, innovation publique, l’urgence de la convergence 

En février 2022 Ellyx publiait, dans le cadre du LabCom Destins, la collection Générer l’innovation sociale au service de la Société, fruit de ses travaux de recherche sur l’innovation sociale de rupture. Cet article s’inspire du 3e volume : Les dispositifs de soutien à l'innovation sociale

Grand classique du mois de septembre, le blues de la rentrée a une saveur particulière cette année. Mégafeux, canicule mortelle, tensions sur les matières premières… l’été 2022 a accentué la prise de conscience de la fragilité de notre modèle face aux conséquences de changements climatiques ou géopolitiques. « Climat, biodiversité, inégalités sociales, tensions géopolitiques : les défis sont interdépendants. « Insoutenables », ces trajectoires accroissent à leur tour les besoins de protection de la population. Notre modèle de développement reposant sur une alliance entre croissance économique et progrès social semble avoir atteint ses limites. (…) Or la puissance publique n’est pas armée pour résoudre ensemble ces « insoutenabilités ». Ces constats ne sont pas tirés d’un manifeste collapsologue, mais d’un rapport de France Stratégie qui compile des travaux et réflexions suite à la crise des Gilets Jaunes et à la prise de conscience d’un triple « épuisement » écologique, social et politique. Il insiste sur l’urgence de passer les politiques publiques au crible de trois conditions – durable, systémique, légitime – et de les articuler autour de visions de long terme. Ces alertes, récurrentes et polymorphes, nous invitent plus que jamais à repenser nos place et rôle individuel comme collectif pour affronter ces périls bien réels. 

Innover avec les autres et faire Société ensemble

La période est une occasion unique d’appeler à une traduction politique des démarches d’innovation sociale pour être à la hauteur des enjeux. Convoquée comme un levier pour résoudre les problématiques écologiques, sociales et sociétales, l’innovation sociale demeure une notion élastique influencée par des conceptions très différentes, qui balaient l’ensemble des mouvements politiques français. Portée par une reconnaissance à travers la Loi de l’ESS de 2014, l’innovation sociale s’est largement déployée par des acteurs privés (associations, entreprises), les pouvoirs publics leur déléguant une capacité d’intervention dans des domaines relevant en partie de leurs compétences tout en les encadrant au travers d’une diversité de dispositifs de soutien : appels à projet et à manifestation d’intérêt, programmes, labels, … Si elles ont inspiré bien au-delà de leur secteur, il faut cependant convenir que les – nombreuses et belles – initiatives ne peuvent à elles seules construire la transformation attendue de notre modèle de société. 

Les acteurs de l’innovation sociale ont besoin d’un réinvestissement de l’action publique dans plusieurs directions : la prise en compte du long terme qui sied à la complexité, parce que la gravité de ce qui se joue aujourd’hui n’autorise plus des solutions de court-terme ; la capacité d’action de toutes les énergies autour des défis structurants, car l’heure est à l’union des forces ; la démocratisation des processus d’innovation. Si les deux premiers points semblent relativement évidents aujourd’hui, beaucoup reste à faire pour libérer l’innovation au service de l’intérêt général. 

Face aux défis actuels, nous avons besoin d’écouter ceux qui élaborent des contre-modèles, qui rompent avec les normes, qui remettent en cause le consensus en vigueur. La radicalité a besoin d’être entendue, discutée, envisagée.

De la radicalité à des approches politiques innovantes

Les idées nouvelles qui inspirent les innovateurs sociaux sont souvent façonnées dans les marges des cadres institués et des conventions sociales, dans les interstices laissés par la loi ou les règles. Les mouvements de lutte, les aspirations nouvelles, les nouveaux usages se construisent sur leur opposition au modèle dominant, se nourrissent de leur critique.  

L’innovation sociale n’échappe pas à la règle : longtemps associée péjorativement aux radicaux, aux révolutionnaires, aux utopistes, à une certaine violence, elle a fini par acquérir plus récemment une image positive. Image qui lui ouvre à la fois une reconnaissance pour diffuser ses propositions mais qui renferme aussi le piège d’un affadissement progressif. 

Et pourtant, derrière le cortège des maux qui lui sont le plus souvent associés, la radicalité c’est aussi avoir un regard critique sur l’existant (la racine), objectiver les ruptures et les régénérations à opérer, dans une volonté de transformation. Or, face aux défis actuels, nous avons besoin d’écouter ceux qui élaborent des contre-modèles, qui rompent avec les normes, qui remettent en cause le consensus en vigueur. La radicalité a besoin d’être entendue, discutée, envisagée.

Lire aussi : “Des labos mobiles pour explorer la radicalité”

A l’inverse, invention ne vaut pas innovation. La multiplicité des expérimentations locales ne construit pas un changement de société. Une traduction est nécessaire. Une digestion, une appropriation, une diffusion par les différentes couches de la société est indispensable. Des franges alternatives à l’entrepreneuriat social, c’est tout un processus d’acceptation d’idées radicales qui s’opère dans le champ de l’innovation sociale, mais qui nécessite un continuum pour embarquer l’ensemble de la Société. C’est précisément le rôle central de l’action publique : ouvrir des espaces de dialogue, libérer les capacités d’agir et offrir une cohérence d’ensemble d’une part ; insuffler le courage de faire différemment d’autre part : mettre en musique les principes fondamentaux d’une co-construction de l’intérêt général comme la transparence, l’éthique, la bienveillance, la responsabilité.

Des franges alternatives à l’entrepreneuriat social, c’est tout un processus d’acceptation d’idées radicales qui s’opère dans le champ de l’innovation sociale, mais qui nécessite un continuum pour embarquer l’ensemble de la Société. 

Guider de nouvelles utopies

Par continuum, nous entendons ici un ensemble d’espaces qui se croisent – laboratoires informels, organisations engagées, fabriques de l’intérêt général, antichambres de la décision publique… – et où les idées circulent et prennent forme. Cela n’est possible qu’en favorisant un processus où se rencontrent la puissance publique, les innovateurs sociaux et porteurs d’idées nouvelles et les parties-prenantes des défis à relever. A chaque échelon et tout au long de démarches qui exigent du temps. 

Nous le répétons souvent chez Ellyx : seule une pluralité d’acteurs agissant au sein d’écosystèmes créateurs de valeurs sociétales est en capacité de faire la différence. Chacun est co-responsable du destin qui nous lie : les entreprises à travers les produits et les services qu’elles proposent ; la société civile à travers les évolutions sociales, politiques et culturelles qu’elle promeut, les pouvoirs publics et les collectivités territoriales à travers les outils règlementaires et les dispositifs d’intervention qu’ils encadrent. Cette complexité ne doit pas constituer une contrainte, mais être appréhendée comme un préalable indispensable aux solutions à mettre en œuvre. Repolitiser les démarches d’innovation sociale, c’est aller au-delà de la mise à l’agenda des problématiques les plus urgentes par l’initiative ou le plaidoyer, c’est contribuer à guider collectivement la vision et les orientations pour amorcer un nouveau virage.

Aller plus loin 
– Labcom DESTINS 2022. Les dispositifs de soutien à l’innovation sociale – Générer l’innovation sociale au service de la Société, vol.3
– France Stratégie, 2022. Soutenabilités ! Orchester et planifier l’action publique

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Collage représentant des personnes agençant des formes
Collage représentant des personnes observant une feuille