27.09.22

Des labos mobiles pour explorer la radicalité

Depuis 2017, le département de Gironde cherche, en partenariat avec Ellyx, à faire émerger des transformations radicales qu’elles soient d’ordre social, écologique ou démocratique à travers les Labo’Mobiles. Cette démarche novatrice s’adresse à des collectifs d’acteurs publics, privés, citoyens… engagés dans une dynamique sociétale commune. Véritable ovni en matière de politique publique, les Labo’Mobiles sont à la fois un laboratoire des pratiques de coopération au service de l’intérêt général et un cadre d’appui d’un an pour concrétiser des idées porteuses.

Rencontre avec Justine Bosredon, chargée de mission Agenda 21 de Gironde et coordinatrice de l’appel à Coopération Labo’Mobiles.

Quelle est la genèse des Labo’Mobiles et comment s’organisent-ils ?

A l’origine, les Labo’Mobiles sont une déclinaison territoriale du laboratoire d’innovation publique de Gironde*, qui avait lui-même été créé pour répondre aux ambitions du Département en matière de résilience territoriale. Le constat fait à l’époque était que, malgré une multitude de projets vertueux, la situation générale ne cessait de se dégrader, que ce soit au niveau local, national ou international. Dans une volonté de se positionner à la hauteur des enjeux, nous avons donc repensé notre manière de faire et d’appréhender les sujets, pour aller plus loin que ce que nous proposions à l’époque. Nous sommes ainsi passés de programme d’actions très détaillés à une logique de défis à relever, en y associant tous les réseaux d’acteurs avec lesquels nous travaillons déjà. Nous avons ensuite cherché à diffuser cette philosophie au plus près des acteurs de terrain avec les Labo’Mobiles. Dans ces lieux de rencontre où s’organisent les parties-prenantes d’une problématique, nous cherchons à faire vivre la coresponsabilité pour répondre aux urgences sociales et écologiques et/ou démocratiques. Ces Labo’Mobiles sont coordonnés par la mission Agenda 21, qui est la cellule de veille sur les enjeux de transformation sociale, écologique et démocratique de Gironde. Composée de 8 personnes, elle intervient en appui des délégations « Résilience et Innovation » et « Participation citoyenne » du Département. Après différents programmes d’actions, elle s’oriente aujourd’hui vers une logique de R&D comme c’est le cas avec cette nouvelle édition des Labo’Mobiles.

* ex LaboM’21, aujourd’hui LaBase

Ce qui nous importe c’est de travailler sur les causes profondes de ce que l’on veut modifier, ce sur quoi on veut agir. Malheureusement, nous avons dépassé le stade des petits pas et les enjeux auxquels nous sommes confrontés nous imposent des solutions radicales.

Quels types de démarches ou d’initiatives peuvent s’inscrire dans les Labo’Mobiles ?  ?

Si l’approche a un peu évoluée depuis les premiers Labo’Mobiles, le fond reste le même : nous souhaitons travailler avec des porteurs de projets qui vont agir sur un enjeu d’ordre sociétal et qui vont oser proposer des changements de paradigme. Par exemple lors de la première édition, nous avons accompagné le village de Cussac-Fort-Médoc qui avait pour ambition l’accès à une alimentation entièrement bio et locale. C’est l’ensemble des habitants du village qui fut invité à écrire le chemin qui allait leur permettre d’atteindre cette ambition, avec pour aboutissement la création d’une régie agricole qui alimente la cantine scolaire. Une dizaine d’initiatives ont suivi depuis, alimentant une dynamique toujours active. Lors de la 2e édition, les Labo’Mobiles concernaient aussi bien un projet d’assainissement écologique qu’une « fabrique territoriale des derniers jours heureux », portés par des collectifs d’acteurs. Dans le premier cas, la question portait sur l’usage d’eau potable dans la gestion des excreta. Ce projet était mené par un collectif d’acteurs privés – entreprises et associations – qui posait une question relevant de l’intérêt général, à l’heure où les ressources en eau se réduisent. C’est un sujet très fort et complexe qui a interrogé la puissance publique, la capacité à nouer des coopérations et les leviers d’actions de chacun. Il est désormais inscrit à l’agenda politique localement depuis quelques mois. Dans le deuxième cas, nous avons travaillé avec une coopérative funéraire, une maison de retraite, un pôle ressources et d’autres acteurs du grand-âge qui ont réfléchi au tabou de la mort et aux conditions pour vivre mieux la dernière étape de sa vie. A l’issue de l’accompagnement, le projet et le collectif se poursuivent aujourd’hui et entament une phase de mobilisation d’acteurs pour structurer un réseau engagé autour de cette ambition.

Vous assumez une volonté de transformation radicale : pourquoi et qu’est-ce que cela change dans votre manière d’agir ?

JB – Ce qui nous importe c’est de travailler sur les causes profondes de ce que l’on veut modifier, ce sur quoi on veut agir. Malheureusement, nous avons dépassé le stade des petits pas et les enjeux auxquels nous sommes confrontés nous imposent des solutions radicales. Pour rendre accessible cette dimension de la radicalité, nous l’avons d’abord traduite, dans les premières éditions, par des ambitions relevant de l’ordre du 100% du 0% : « 0 déchet », « 100% bio et local », « 0 chômage » … pour aider à poser un objectif qui pouvait paraître inatteignable et donc radical. C’est pourquoi nous nous sommes aussi requestionnés sur la méthode : nous ne voulions pas forcément partir d’un diagnostic, poser des objectifs d’une année à l’autre, voir comment on accompagne tel ou tel acteur dans leur réalisation etc. Nous avons fait le choix de travailler plutôt en backcasting : c’est-à-dire partir du point d’arrivée souhaité, en faire la boussole pour définir les objectifs à atteindre avec les acteurs concernés ; dessiner ensemble ce qu’on peut mettre en place pour y parvenir, bref se mettre dans une dynamique qui va nous permettre de nous engager sur les chemins de la transformation. Cette approche nous permet de gagner énormément de temps et de passer une marche que nous n’aurions peut-être pas sautée avec une gestion de projet classique. Nous creusons également cette idée de la radicalité dans l’appui que nous apportons aux acteurs. La démarche des Labo’Mobiles se construit au travers de projets transformateurs et qui osent se positionner dans une logique de rupture avec la situation initiale. Or, à l’issue de la 1ere édition, nous nous sommes vite aperçus que le fait que ces transformations soient incarnées par un unique porteur de projet était un frein plus qu’un levier. Atteindre des ambitions de ce niveau n’est possible que si on active la coopération et la coresponsabilité des parties-prenantes du territoire. Et c’est pourquoi nous en avons fait un critère de candidature dans la 2e édition et que nous le renforçons avec un appel à coopération pour la 3e édition.

Nous avons un enjeu de démonstration : pour montrer qu’il est possible de porter des projets à ambition radicale, de pouvoir changer les paradigmes qui nous permettent de répondre à des urgences sociales où écologiques et de mobiliser les acteurs d’un territoire.

Vous faites le choix d’un appel à coopération, comment se traduit-il dans l’appui que vous offrez ?

JB – La coopération se travaille tout du long de la démarche. Tout d’abord, nous demandons aux candidats de s’unir au sein d’un collectif, c’est un pré-requis pour candidater. Celui-ci n’est pas forcément formalisé mais il doit être d’accord pour poser une ambition commune pour le territoire et se fixer des engagements pour l’atteindre.  Notre appui va se matérialiser en deux phases. La première est accessible aux projets pré-sélectionnés, et axée sur la coopération interne au collectif : elle dure trois mois, à raison d’une journée mensuelle et va permettre de travailler les questions de la radicalité, de l’expérimentation, de la coresponsabilité, d’innovation… Nous allons aussi accompagner les collectifs dans leur structuration et les aider à mettre à plat leur ambition, à décliner le niveau de coopération dans leur collectif, la nature de leur engagement, les valeurs partagées, y compris avec l’équipe d’appui des Labo’Mobiles. C’est un premier acte important et fondateur qui se formalise par une charte d’engagement. A l’issue de cette première phase, les projets retenus bénéficient d’un accompagnement de 9 mois pour se développer. Lors de la première édition, la phase 1 n’existait pas et nous avons vu quelques acteurs déroutés par la démarche. S’ils avaient posé une utopie, ils n’avaient pas pensé la travailler réellement. C’est pour éviter ce décalage que nous avons créé cette phase de mise à plat, afin de partager la philosophie de la démarche et ce socle de valeurs que nous avons mis du temps à construire avec Ellyx. Pour la 3e  édition, nous voulions continuer à mettre en avant ces enjeux avec l’appel à coopération. Cela se traduit aussi dans notre appui avec des axes de travail que nous allons chercher à travailler encore plus en profondeur.

Nous pouvons aider à légitimer les démarches d’innovation sociale portées par les acteurs du territoire mais c’est aussi très important de pouvoir réinterroger nos pratiques et nos cadres au regard de ce que nous apprenons.

Pourquoi avoir initié une démarche de R&D autour des Labo’Mobiles ?

JB – Lors de la deuxième édition, la démarche Labo’Mobiles s’inscrivait déjà dans le programme de R&D sociale du laboratoire commun DESTINS, dont elle était l’un des terrains d’étude et d’expérimentation. Pour cette 3eédition, nous poursuivons le partenariat avec Ellyx dans le cadre d’un marché de R&D. Ellyx n’est pas un prestataire du Département et nous portons ensemble cet appel à coopération, dans un engagement réciproque. Ce programme de R&D commun, en cours d’écriture, doit nous permettre de capitaliser de la connaissance en tant qu’acteur public, autour de l’appui aux démarches de coopération et de transformation sociale, écologique et démocratique menées sur le territoire ; par ailleurs, à travers les Labo’Mobiles, nous avons un enjeu de démonstration : pour montrer qu’il est possible aujourd’hui de porter des projets à ambition radicale, de pouvoir changer les paradigmes qui nous permettent de répondre à des urgences sociales où écologiques et de mobiliser les acteurs d’un territoire autour d’une même ambition. La R&D a donc une place importante dans la diffusion, le partage et la valorisation de ces approches. Enfin, au-delà de la R&D, avoir ce rôle – en tant qu’acteur public – de facilitateur, c’est être pleinement partie-prenante aussi de l’expérimentation. Parmi les résultats très encourageants des Labo’Mobiles, certains projets nous ont permis de faire évoluer nos règlements d’intervention, pas toujours adaptés à des initiatives avec une ambition forte. Nous pouvons aider à légitimer les démarches d’innovation sociale portées par les acteurs du territoire mais c’est aussi très important de pouvoir réinterroger nos pratiques et nos cadres au regard de ce que nous apprenons. Prendre le temps de la prise de hauteur nous permet finalement d’aller plus loin.

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Collage représentant des personnes agençant des formes
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