Si la création d’entreprises connaît une augmentation salutaire depuis maintenant une quinzaine d’années, elle souffre néanmoins trop souvent d’un lieu commun tenant à l’équation suivante : entrepreneuriat = emploi. Petit retour critique et constructif sur une formule un peu trop rapidement sacralisée…
Développer l’entrepreneuriat, créer des entreprises, faire de chaque Français son propre patron, voici le credo du gouvernement en matière de lutte contre le chômage de masse, s’inscrivant dans le sillage de la précédente mandature. Après des décennies où l’esprit d’entreprendre était plutôt boudé voire parfois conspué, cette inclinaison semble heureuse : elle permet de réhabiliter l’action d’entreprendre comme une valeur positive, créatrice de richesse et facteur d’épanouissement (la richesse ne devant pas ici être limitée à sa seule dimension économique et financière). Elle permet aussi de faire reposer l’action publique sur une aspiration grandissante au sein de la population. La création de sa propre entreprise ou le fait de « se mettre à son compte » est de plus en plus perçu comme un moyen pertinent pour retrouver une activité professionnelle. Elle est également appréhendée comme un moyen de se libérer de contraintes associées à la situation de salarié « classique » comme l’obéissance à la hiérarchie, l’absence de poids dans la décision, l’absence d’autonomie dans la gestion de son propre temps, l’imposition de critères de performance parfois désincarnés ou brutaux, etc.
L’entrepreneuriat : l’emploi sans développement économique, et donc sans emploi
Avant toute chose, il importe de mesurer cet élan vers l’entrepreneuriat. Premièrement, si la création d’entreprise a fortement augmenté depuis 15 ans, passant de 200.000 entreprises créées en 2000 à plus de 540.000 en 2014, elle s’est accompagnée d’une augmentation importante du nombre de défaillances. Surtout, cette augmentation est largement dûe à la creation du statut d’auto-entrepreneur, dont la réalité renvoie moins à la creation d’emplois qu’à un complément de revenus plus ou moins important et régulier pour le seul créateur. De manière générale, la création d’entreprises ces dernières années se traduit davantage par le développement des entreprises individuelles depuis quelques années, moins par l’essor de structures employeuses. Rappelons que moins de 6% des entreprises françaises en création disposent d’un salarié dès leur création. En 2014, seule une entreprise nouvelle sur 200 emploie plus de 5 salariés lors de sa création et le nombre de nouvelles entreprises employeuses a accusé une baisse de 39% entre 2007 et 2014. Et dans tous les cas, l’augmentation de la création d’entreprises ne s’est pas traduite par une dynamique économique en capacité d’enrayer la montée du chômage. En faisant de l’entrepreneuriat une « nouvelle frontière » pour les jeunes et pour les chômeurs, le gouvernement minore les difficultés profondes du parcours de création d’entreprise, que l’on croit trop souvent limitées à une difficulté d’accès au crédit ou aux parcours d’accompagnement. Surtout il semble s’enfermer dans une logique visant à répondre au défi de l’emploi sans relever le défi du développement économique, et risque, au final, de ne répondre ni à l’un ni à lautre.
Le gouvernement se trouve ainsi devant un enjeu de taille : faciliter le passage vers l’entrepreneuriat de dizaines de milliers de personnes, parfois mal outillées (que ce soit en termes de qualification, d’approche culturelle du risqué…) tout en espérant que ce mouvement aboutisse à l’émergence d’entreprises à forte capacité d’entrainement en termes d’activité économique. Comment répondre efficacement à cet enjeu ?
L’entrepreneuriat d’équipe : une solution à expérimenter
L’une des clés se trouve probablement dans l’entrepreneuriat d’équipe, soit la capacité à porter collectivement une entreprise, à favoriser des logiques de coopération en amont de la création. Aujourd’hui la logique des pouvoirs publics comme des acteurs de l’accompagnement à la création d’entreprises, favorise l’émergence d’entreprises individuelles, toutes en concurrence les unes par rapport aux autres, toutes demandant au créateur d’entreprise d’assurer l’ensemble des tâches de gestion et de pilotage. Combien de créateurs s’épuisent à faire vivre un commerce, sans même tirer un salaire décent, et avec le risque de se retrouver sans protection en cas de liquidation ? Pourquoi ne pas faciliter la composition d’équipes entrepreneuriales, en capacité de penser et de piloter des entreprises plus fortes, plus innovantes, plus employeuses. Plutôt que d’imposer au chômeur le fait d’être porteur d’une idée entrepreneuriale, pourquoi ne pas le préparer à amener ses compétences à un projet existant, porté par un autre, et avec un autre. Illusoire ? Utopique ?
Il y a quelques années, une collectivité régionale s’est retrouvée à financer plusieurs magasins de fleuristes situés tous trois à proximité dans des zones péri-urbaines et rurales. Les trois commerces ont vivoté, avec à leur tête, des personnes entièrement consacrées à leur travail, avant de péricliter chacun à leur tour. L’issue aurait-elle été différente si les trois entrepreneurs avaient fait équipe, s’ils s’étaient répartis les tâches, s’ils s’étaient unis ?
On peut le penser. Il est du resort des pouvoirs publics, et en premier lieu du gouvernement, d’envisager d’autres formes d’entrepreneuriat. Face aux limites du paradigme individualiste, la Gauche pourrait justement défendre l’idée d’un entrepreneuriat solidaire, exigeant, performant, où la demarche collective ne s’oppose pas à la liberté d’entreprise, mais au contraire, la stimule et la rend possible, où la force du collectif offre des opportunités là où l’aventure solitaire mène trop souvent à une désillusion pour les créateurs d’entreprise, et à une impasse dans une société du chômage qui a moins besoin d’entrepreneurs que d’employeurs.