20.11.24

Commençons par la fin

La mort, un terrain d’innovation comme les autres ?

Nous sommes en 2024. Depuis l’instauration de la liberté funéraire en 1887 ouvrant la voie à la crémation et l’ouverture à la concurrence au secteur privé des pompes funèbres en 1993, la société française n’a guère vu évoluer sa façon de traiter ses défunts.

Pourtant la pandémie de Covid-19, avec ses 7 millions de victimes (1), nous a rappelé l’importance de saluer nos morts et profondément transformé notre rapport au vivant. Dans le même temps, c’est aussi un marché qui se réinvente avec l’apparition d’une death tech qui entend « disrupter » le secteur des pompes funèbres mais également l’industrie de la digital afterlife qui se concentre sur la vie numérique comme extension de la vie physique après la mort. Si ces évolutions reflètent une évolution des usages et des représentations, elles sont aussi motivées par les promesses de rentabilité de ce marché encore émergent. Et le potentiel est massif avec des prévisions de « 120 milliards de dollars par an dans le monde et des taux de croissance annuels de 6% jusqu’en 2030 (2)».
Parallèlement à cette offensive lucrative, des acteurs français s’engagent pour changer notre regard sur la mort, avec une approche plus sensible et plus douce. À titre d’exemple, le programme Épilogue porté au sein du Kiff (une alliance de grands incubateurs d’innovation sociale) explore ce sujet complexe à travers dix projets. Ces initiatives visent autant à faciliter l’expression du deuil chez les plus jeunes qu’à fabriquer un cercueil bio-sourcé ou encore organiser un festival joyeux célébrant la mort… Elles ont en commun d’explorer des pistes pour mieux accompagner les personnes endeuillées, promouvoir un funéraire inclusif et repenser la fin de vie.

En ce mois des morts, nous consacrons cette newsletter à celles et ceux qui cherchent à donner du sens à la mort :

  • avec les obsèques par terramation que développe l’association Humo Sapiens ;
  • grâce aux cérémonies écologiques et solidaires proposées par la Coopérative Syprès ;
  • à l’aide de quelques sons et lectures pour réfléchir notre relation à nos défunts


(1) Source : Santé Publique France
(2) Source : Du testament en ligne au zombie numérique – Synthèse de l’étude  » La mort à l’ère numérique « 

Pierre Berneur, fondateur d’Humo Sapiens, veut ramener la mort dans le cycle de la vie

Et si demain une nouvelle option s’offrait à nous pour envisager le devenir de nos corps après la mort ? C’est l’ambition de l’association Humo Sapiens qui travaille à la reconnaissance de la terramation en France. Ce processus funéraire propose une alternative à celles et ceux qui ne souhaitent ni brûler ou ni sceller leurs corps à l’issue de la vie. En orchestrant un retour à la terre par la transformation de nos dépouilles en humus – cet ingrédient essentiel à la fertilité des sols – la terramation entend offrir une approche régénératrice de la mort.
 
Penser l’innovation dans les pratiques funéraires peut déranger : pourquoi bousculer l’éternité, ne peut-on simplement laisser la mort en paix ? Pourtant, s’interroger sur ces questions, c’est explorer le sens de nos rites collectifs, repenser notre relation à la mort dans la vie et nous replacer dans une contribution active au cycle du vivant.

La coopérative Syprès réinvente les obsèques en mode solidaire et écologique

Cérémonie parmi les plus intimes que peut traverser une personne dans sa vie, les obsèques d’un proche apparaissent pourtant souvent comme l’une des plus impersonnelle qui soit, contractualisée par une convention avec une offre souvent standardisée. De plus, la plupart des enterrements ne disposent que des lieux de cultes et de leurs officiants pour célébrer, malgré le faible nombre de pratiquants que compte la France. La triple question de la réflexion autour de la mort, du coût et de la célébration des derniers hommages a présidé à la création de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Syprès, à Talence, à côté de Bordeaux, en s’inspirant des coopératives funéraires québécoises  qui sont aujourd’hui leader du secteur au Québec. A l’origine du projet se trouve un groupe de personnes qui souhaitent parler, échanger, changer de regard sur le mort et le deuil, en organisant par exemple des « cafés mortels ». Progressivement, la réflexion s’est portée sur les façons de rendre hommage aux morts, des questionnements socio-culturels (dans une société laïque, comment rendre hommage hors des cadres religieux ?) et plus largement comment lever le déni qui pèse sur le sujet et figerait les obsèques dans un modèle qui ne pourrait se renouveler?

Syprès a donc pensé l’inverse des pratiques actuelles : partir des familles endeuillées et des personnes qui souhaitent anticiper cette épreuve en leur demandant à quoi ressemblerait « leur » cérémonie idéale ? Sur un principe de co-construction et de mise en relation avec les acteurs, Syprès veut les aider à rompre leur isolement dans l’épreuve avec une approche qui se veut à la fois personnalisée et abordable. Une dimension écologique est intégrée à l’offre funéraire, composée de cercueils et urnes biodégradables fabriqués par des artisans… jusqu’aux déplacements, prioritairement réalisés en vélo et en voiture en autopartage. Enfin, Syprès cherche aussi à questionner et inspirer le modèle traditionnel :  la SCIC a obtenu en 2019 le statut de jeune entreprise innovante (JEI). Elle mène un travail de R&D autour de la mort et ses modalités d’accompagnement, avec l’ambition de proposer un nouveau métier : célébrant laïc. Le modèle économique tire lui les bénéfices de la coopérative. Il n’y a pas de recherche de profits immédiats pour ses investisseurs, qui protège les famille de la survente, des marges arrières et de l’intéressement des employés. Le service reste centré sur l’écoute, l’attention et le soin et la famille. Une belle manière d’accomplir son rôle pour une entreprise sociale et solidaire lors du moment où les personnes sont les plus éprouvées dans leur vie.

3 Ressources

Tendez l’oreille aux morts ! Spécialiste des rituels funéraires, l’anthropologue Grégory Delaplace invite dans cet épisode du podcast Les idées larges d’Arte Radio à réfléchir sur la place que nous donnons (ou retirons) à nos fantômes.

Écouter Que nous veulent les fantômes

 

Manuel de la vie sauvage, de Jean-Philippe Baril Guérard : suivez Hudlu, une start-up qui promet un produit révolutionnaire à travers des chatbots funéraires pour communiquer avec ses défunts. Un roman grinçant qui interroge les liens entre technologie, ambition individuelle et relations humaines. Les éditions de ta mère (Québec).

Découvrir la fiche de lecture

 

« Bienvenue ! Tout va bien » C’est par ces mots que sont accueillis les protagonistes de la série The Good Place, comédie douce et philosophique où se bousculent les questions sur le libre arbitre, la foi, le bien, le mal et l’après … ou ce qui en tient lieu !

En savoir plus sur le philosophe qui a inspiré la série

Cet article est issu de notre newsletter du 28 novembre 2024.

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Collage représentant des personnes observant une feuille