La prise en compte de critères environnementaux et sociaux est une réalité dans la plupart des organisations, encouragée notamment par le législateur (obligations légales liées à la RSE, loi PACTE). Si cela se traduit par des niveaux d’engagements variables du côté des entreprises, différentes initiatives visent à densifier le lien entre économie et réponses aux besoins de la Société. Elles s’incarnent aujourd’hui dans une diversité d’étendards (agrément Esus, label b-corp, statut d’entreprise à mission, label Lucie…) et d’approches en matière de contribution sociétale. Corollaire de ces ambitions, objectiver l’impact des activités menées devient incontournable pour vérifier l’adéquation avec les valeurs affichées. Le cas récent d’Orpéa a cependant mis en lumière la complexité à se doter d’indicateurs à la fois pertinents, fiables et standardisés. Au-delà des logiques froides de reporting, quel rôle et quelle place donner à l’évaluation de l’impact d’une organisation qui entend affirmer son utilité sociale ou sa contribution à la Société ? Comment s’assurer que l’on agit sur les racines plutôt que les symptômes du mal ?
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Résultat ne vaut pas impact
Nous ne débattrons pas ici de la charge sémantique du terme « impact », quand bien même les mots sont importants. La notion s’étant largement imposée dans le champ de l’utilité sociale, nous nous contenterons de nous rallier ici à la définition du CSESS ; soit l’ensemble des conséquences, positives et négatives, des activités d’une organisation sur ses parties-prenantes directes ou indirectes. En revanche, nous préférerons parler d’évaluation d’impact plutôt que de mesure, qui, par son caractère chiffré renvoie plutôt à des méthodes d’audit et à un désir d’isoler une performance individuelle, là où nous voyons la réussite d’un écosystème. Or, s’il est important de témoigner de l’efficacité de son action, il l’est tout autant de pouvoir rappeler ce qui se passe derrière les chiffres, de réhumaniser les informations produites. Il s’agit bien ici de distinguer les résultats de l’activité et l’impact de celle-ci sur la thématique sociétale à laquelle elle entend s’attaquer. Prenons l’exemple de trois restaurants embauchant du personnel en situation de handicap : l’activité du premier est guidée par la volonté de créer de l’emploi inclusif. Le deuxième voulait intégrer une dimension responsable à son activité. Le 3e restaurant veut faire évoluer les regards sur le handicap et vise une étoile pour faire reconnaître l’excellence de son équipe. Pour une même activité de services, nous avons ainsi trois trajectoires spécifiques, qui doivent être analysées avec l’ambition de départ comme donnée directrice pour s’assurer de la pertinence de l’action menée. Cette nuance est importante pour calibrer une lecture de l’impact en lien avec le niveau de contribution visée. Si ces trois stratégies participent à un changement social chacune à leur niveau, elles répondent à des enjeux différents et ont des besoins d’appui différents.
« Plutôt q’une performance individuelle, voyons la réussite d’un écosystème. S’il est important de témoigner de l’efficacité de son action, il l’est tout autant de pouvoir rappeler ce qui se passe derrière les chiffres, de réhumaniser les informations produites. »
Acteur responsable vs acteur de changement ?
Dans notre exemple, chacun des restaurants joue un rôle dans la question du handicap et de l’inclusion. Et c’est la combinaison des trois qui pourra produire plus rapidement et plus sûrement un changement d’ampleur. Conscientes des enjeux en matière de développement, certaines collectivités ont ainsi mis en place des outils de sensibilisation à la mesure d’impact, comme la ville de Lyon ou celle de Nantes, pour accompagner les entreprises dans leur changement de posture. Cela est néanmoins possible grâce à l’action d’une minorité qui a ouvert la voie (malgré l’indifférence ou pire) pour que les représentations évoluent et progressivement aboutissent à des effets plus massifs sur les champs culturel, politique et économique. Ainsi en est-il de l’objectivation de l’impact. Pour les organisations engagées dans une démarche de transformation profonde de la Société, et qui placent l’utilité sociale au cœur de leur modèle, l’impact est la boussole qui permet d’éclairer le projet politique. Se poser la question de son impact, c’est s’interroger sur ce que l’on veut transformer, sur les effets à produire, c’est se demander si c’est le bon moyen d’y parvenir et le rôle que l’on veut et peut prendre dans cette transformation. L’évaluation d’impact devrait donc idéalement se penser en amont de toute action et selon une méthodologie sur-mesure et une temporalité pertinente. Dans cette perspective, elle devient un outil de pilotage précieux pour orienter son action mais aussi le prétexte à ouvrir un espace d’échanges avec les parties prenantes quant à l’action à mener. Par parties prenantes, il faut entendre les acteurs – et non simplement les partenaires de l’organisation – qui ont la capacité à agir sur l’accélération et la réalisation de cette ambition sociétale. Car la fabrique de l’intérêt général requiert une stratégie collective : un acteur, tout aussi vertueux et innovant soit-il, ne saurait porter un changement systémique à lui tout seul.
« Ce qui est vrai à l’échelle de la planète et de l’humanité vaut pour celle des territoires : les défis sociaux et environnementaux ne peuvent se corriger que si les acteurs publics, institutionnels et économiques confrontent leurs lectures et co-organisent les réponses. »
Coopérer ou périr
« Coopérer ou périr », c’est par cette injonction qu’Antonio Gutterres, secrétaire général de l’ONU, ouvrait la COP27 pour exhorter les gouvernements à prendre collectivement leurs responsabilités pour endiguer la menace climatique. Ce qui est vrai à l’échelle de la planète et de l’humanité vaut pour celle des territoires : les défis sociaux et environnementaux ne peuvent se corriger que si les acteurs publics, institutionnels et économiques prennent acte des dangers, confrontent leurs lectures, co-organisent les réponses et articulent leurs actions vers un objectif partagé. C’est cette responsabilité collective qui nous oblige aujourd’hui ; et plus que la valorisation et le retour sur une action individuelle, c’est la capacité à agir et l’impact en commun qui importe face aux urgences sociétales. Une telle évaluation constituerait un véritable levier de transformation à trois titres :
- Elle replace le dialogue démocratique et le débat citoyen au cœur de l’action, en délibérant avec les acteurs du territoire d’une stratégie commune (et des résultats à atteindre) qui se décline individuellement chez chacun d’eux ;
- Elle prend en compte le temps nécessaire aux changements structurels en intégrant une logique de trajectoire de transformation : si certains effets sur les bénéficiaires ou l’environnement sont observables rapidement, il faut également se donner le temps de constater les impacts sociétaux profonds et l’opportunité d’ajuster la stratégie collective pour atteindre les résultats ciblés.
- Elle capitalise les apprentissages et contribue à la pérennité des actions. En objectivant les mécanismes à l’œuvre dans l’accélération ou les freins des dynamiques mises en place, elle permet de voir au-delà du projet, de l’expérimentation, bref du ponctuel.
En réfléchissant à son impact et à son évaluation, une organisation peut inviter ses partenaires à prendre de la hauteur avec elle, sur la problématique qui l’anime. Progressivement, elle peut même les conduire à adapter leurs cadres d’intervention et à partager la charge de l’évaluation. C’est sur l’écosystème tout entier que doit reposer la responsabilité de la Société que l’on veut voir advenir : assumer cette complexité, c’est prendre le temps de regarder d’où l’on part et le point d’arrivée, de comprendre les aspérités du chemin et c’est peut-être aussi cela, une évaluation d’impact : la narration d’un récit collectif, avec ses écueils et ses satisfactions, pour tendre vers le meilleur dénouement possible.
Aller plus loin : Labcom DESTINS 2022. Modalités et intérêts à mesurer l’innovation sociale de rupture – Générer l’innovation sociale au service de la Société, vol.4