01.06.22

Décryptage

Jade Omer, chercheuse sur les enjeux de R&D au sein d'Ellyx, revient sur les propositions de l'ANRT pour la politique de la recherche et du développement des programmes présidentiels 2022.

A l’occasion de la campagne présidentielle 2022, l’ANRT a formulé une série de propositions en faveur de la création d’un “solide écosystème national de la recherche au service des transitions et de l’avenir de la France”. Décryptage par Jade Omer, chercheuse en R&D.

De manière générale, il paraît intéressant et prometteur qu’une institution comme l’ANRT s’interroge sur l’évolution des démarches d’innovation dans une approche plus élargie que le prisme dominant de l’innovation technique et technologique. Le positionnement de l’ANRT exprimé dans la note recouvre une logique plus ouverte incluant différentes typologies d’innovations au service de sujets sociétaux. L’ANRT oriente la mutation de l’écosystème de l’innovation et de la recherche français, vers la réponse aux enjeux sociétaux de notre pays. Pour ce faire, l’ANRT identifie la nécessité de faire du lien entre les différentes parties prenantes de l’écosystème, les chercheurs, les acteurs socio-économiques, les politiques, elle se positionnerait, alors comme l’acteur au centre, faisant du lien entre les acteurs, les mettant en contact, et jouant un rôle d’intermédiaire privilégié. Bien que l’ANRT identifie la nécessité de combiner des initiatives et des approches de différentes natures (technologiques, sociétales, politiques, réglementaires). 

Sur les 22 propositions réalisées, dans l’objectif de créer un solide écosystème national de la recherche au service des transitions et de l’avenir de la France, trois ont particulièrement retenues notre attention et nous paraissent spécifiquement novatrices et centrales pour répondre aux enjeux sociétaux actuels (chômage, alimentation durable et saine, accès à un logement décent, etc.).

  • Tout d’abord, la proposition n°1 sur la loi de cadrage stratégique, nous semble être un bon moyen pour insuffler une synergie des moyens au service d’enjeux centraux pour notre société, la volonté de combiner différents types d’innovations (technologiques, économiques, sociétales) et différents types d’acteurs (académiques, privés, territoriaux, société civile) paraissent être des pistes particulièrement fécondent pour résoudre les enjeux sociétaux actuels.
  • Ensuite, la proposition n°8 sur l’augmentation du nombre de thèse de Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) réalisées, bien que pas spécialement novatrice, nous semble être un point particulièrement important. En effet, nous identifions le dispositif Cifre comme une vraie force pour créer des connaissances nouvelles utiles à la recherche et à l’organisation mettant en place ce dispositif, cette proposition doit également pouvoir servir à ajuster les points de difficultés rencontrés par les parties prenantes impliqués dans les thèses Cifre (laboratoires, doctorants, organisations accueillantes), en particulier dans le champ des SHS.
  • Pour finir, la 22ème proposition sur la construction de plusieurs écosystèmes « d’innovation de rupture » appuyés par une politique spécifique, rassemblant intrinsèquement différentes parties prenantes dans une logique expérimentale, nous paraît également particulièrement intéressante, il nous semble néanmoins que la rupture ne doit pas se situer uniquement au niveau de la technologie mais bien au niveau d’un système plus large permettant de transformer la société face aux défis sociétaux d’ampleurs auxquels nous devons faire face.

Dans le cadre d’une future loi de cadrage stratégique de la recherche, cinq enjeux cruciaux à traiter ont été identifiés (cancer, adaptation au changement climatique, océans/mers/eaux côtières et intérieurs sains, villes climatiquement neutres et intelligentes, santé du sol et alimentation). Ces enjeux sont certes centraux et importants, ils laissent néanmoins des parts de flou sur la manière dont ils ont été identifiés et sur leur priorité réelle face à tous les enjeux sociétaux existants actuellement. S’il y a la volonté de trouver des solutions aux grands défis sociétaux existants, il est essentiel de repartir des besoins prioritaires face auxquels il y a des attentes criantes de la Société et de la population qui la compose. Sélectionner et prioriser les défis et thématiques à investiguer en repartant de ces éléments semblent alors central.

L’identification du besoin d’articuler des mesures de différentes typologies : politiques, législatives, de recherche qui impliquent, pour un enjeu spécifique différentes réponses : technologiques, économiques, sociétales innovantes restent un point particulièrement intéressant et nécessaire, pour raisonner en matière de contribution sociétale.

Néanmoins, le fléchage et l’orientation des soutiens mentionnés dans les propositions sont majoritairement orientées vers les entreprises privées. Les associations, les collectivités, les organismes à buts non-lucratifs, les collectifs d’acteurs, etc., sont évincés des mesures proposées quand bien même ils peuvent aussi être porteurs et en capacité de faire de la R&D et de l’innovation, même s’ils sont privés d’une très grande partie des financements à l’innovation existants. Il semble alors essentiel dans une logique de recherche de solutions optimales, de repenser la place et l’accès de tous les acteurs au développement de solutions de différentes natures (politiques, économiques, sociales, juridiques, etc.)

Pour finir, la coopération est une clé centrale si on veut traiter des sujets sociétaux qui entremêlent de nombreux acteurs et problématiques. Il est alors nécessaire de bénéficier des cadres qui permettent un travail en commun entre acteurs publics, acteurs socio-économique, acteurs académiques, acteurs de société civile etc. Néanmoins, les cadres existants dans l’écosystème de recherche et d’innovation (cf : le dispositif CIFRE avec lequel il est difficile de faire de la R&D en SHS ou encore le dispositif Labcom difficilement efficient sur des enjeux d’innovation sociale) ne sont pas totalement adaptés pour faire de la coopération, ils sont plus propices à un travail de collaboration, ce qui n’est pas suffisant si nous voulons nous inscrire dans une logique de transformation, « de rupture » comme mentionné par l’ANRT.

Il semble alors essentiel de traiter plus en profondeur certains éléments pour avoir un écosystème de recherche et d’innovation en capacité de répondre aux enjeux sociétaux actuels. Ces différents éléments nous amènent à nous demander la manière dont l’ANRT peut se positionner pour créer des écosystèmes d’innovation appropriés et donc de la R&D pour la résolution de besoins sociétaux peu ou mal satisfaits. Il s’avère alors nécessaire de ne plus seulement penser la RDI dans une approche technologique mais bien dans une approche sociétale.

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Collage représentant des personnes agençant des formes
Collage représentant des personnes observant une feuille